Dessine-moi un perso

Une peau diaphane, une décolleté vertigineux, une taille fine, des cheveux soyeux et un regard pétillant ; Sterre est une beauté classique digne de figurer sur la toile d'un peintre. Cela vaut pour ses bons jours. Les autres fois, ces caractéristiques bien que toujours présentes change la perception que l'on a d'elle. Son regard pétillant et empli de vie devient étincelant d'une lumière sombre et assoiffé de mort. L'aura qui l'entoure est alors menaçante, noire comme la nuit et dangereuse comme l'orage.

Sterre est deux en une. D'un côté, la demoiselle sage, élevée aux mœurs des bonnes familles, à l'aspect fragile et docile. De l'autre, la femme violente et sans pitié, tout droit venue des enfers, sure d'elle et de ses charmes.
La première aime les charmes simples de la vie, tels que le chant des oiseaux et la lecture d'un ouvrage de littérature. La seconde a plutôt envie d'étriper ces petits oiseaux et de voir s'élever un grand foyer flamboyant quand on lui parle de poésie. La douce Sterre passe des heures à broder en écoutant son petit frère joué du clavecin, au milieu du reste de sa famille. L'autre Sterre aime se laver dans des baignoires remplies de sang, après avoir écouté les couinements plaintifs de sa ou ses victimes.
Elle est une et son contraire dans un même corps. Elle est tradition et rébellion, pureté et débauche, lumière et ombre, innocence et vice. Mais il n'y a que la partie nuit qui se rend compte de la part de jour avec qui elle partage ce corps et cela l'insupporte grandement.

Sterre est née dans la bourgeoisie flamande. Très vite, l'enfant fut instruite ; elle apprit à lire, à jouer de la musique, à chanter, à coudre, à s'habiller et se coiffer pour être toujours belle et seconder au mieux son époux dans ses affaires. A treize ans, elle fut fiancée au fils d'un riche marchand dont la fortune servait au mécénat de quelques peintres talentueux. Elle convola en justes noces après son seizième anniversaire. Elle s'appliqua à tout faire pour que son mariage soit heureux, mais elle n'eut guère d'efforts à fournir car son mari, Johan, était adorable avec elle en tout point. Très souvent en déplacements, il se faisait pardonné en lui offrant de petits cadeaux délicats. Il ne lui en voulut même pas lorsqu'elle perdit le premier enfant qu'elle attendait. Tout était parfait.
Les choses se compliquèrent à l'aube de ses dix-huit ans.
Fier de sa bru et de sa beauté parfaite, son beau-père demanda à l'un de ses peintres d'immortaliser l'image de la belle enfant. Les séances se déroulaient parfaitement, dans un silence presque cérémoniel, la jeune épouse chaperonnée par un membre de sa famille. Sterre était fascinée par ce travail de patience. Un soir qu'elle était seule en demeure, elle poussa la porte de l'atelier provisoire du peintre afin d'aller admirer le tableau qui la représentait. Elle tira la toile blanche qui recouvrait le chevalet et fut glacée d'effroi. Son image n'était en rien ressemblante ; c'était un monstre aux formes généreusement féminines. Un monstre qui la fixait de son regard rouge, un monstre qui lui sourit soudain, tandis qu'une voix, celle du peintre, s'élevait dans son dos : «Votre beauté est illusion. Celle qui sommeille en vous va pouvoir se réveiller désormais. » Cette nuit-là, Sterre fut infidèle pour la première fois ; elle tua également pour la première fois, guidée par sa part maléfique et la main sure de l'artiste sorcier. Au matin, elle ne se souvenait de rien...